La revue du SNP

[publié le 17/12/2015]

P&P n° 241: Addictions (décembre 2015)

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Je me souviens d’un temps où l’on était accro. A crocs. La dépendance se nouait autour de questions de manque et d’objet. L’oralité n’en était pas exclue, cette avidité qui faisait que l’on pensait régler le problème structurel du manque d’objet en consommant un produit, organisant par la même occasion la périodicité de la présence et de l’absence, la scansion du temps.

Ce dossier parle d’addictions. Si l’on peut y entendre a-diction, avec ce a privatif qui signe l’impossible à dire justement, on peut se demander si le défaut de parole n’est pas passé du côté du social. Tout peut être prétexte à addiction, n’importe quoi même. On ne se pose pas la question de savoir ce qui amène un sujet à s’enchaîner ainsi à un produit, ou à un rien : car que sont ces addictions sans objet qu’une façon de reprendre, du côté de l’image ou de l’acte pur, les questions qui hantent chacun de nous ? On traite de façon hygiéniste ces affaires-là. Il s’agit de mettre en place une prévention des conduites à risque, une réduction des risques ; se droguer oui mais de façon propre et sans attraper de vilaine maladie. Exit la jouissance. Exit la mise en jeu de sa propre vie, le défi adressé à la mort. La dépendance elle aussi, dans ce qu’elle implique de lien, de mise en relation d’un sujet avec son objet, d’impossible autonomie, car qui peut se croire dégagé de toute dépendance, est récusée : il s’agirait de créer des individus sains, indépendants, maîtres d’eux-mêmes et de leur destin. Le fantasme du névrosé se joue à grande échelle, avec une dimension injonctive dont la férocité est redoublée par l’absence d’appuis pour le sujet. Être soi-même, comme le clament les publicités. Pas d’autre, pas de lien, juste un produit offert, vendu plutôt, qui permettra à chacun d’être lui-même. Et l’on s’étonne de ces addictions qui ne font que reprendre le modèle qui s’étale sur tous les murs ?

Beaucoup à penser donc pour les psychologues. Beaucoup à mettre en question, à reprendre dans un dialogue avec le social qui viserait, non à déplorer la disparition de l’ancien, mais à repérer et articuler les nouveaux modes de jouissance, la façon dont les sujets hypermodernes se saisissent de ce que ce social leur propose pour tenter de résoudre, encore et encore, leurs impasses et contradictions, sans oublier les trouvailles, inventions, créations dont font et feront preuve les générations à venir. Le psychologue a à rester attentif à cela. Pas seulement à résister, ni à clamer qu’il ne sera pas l’officier de santé chargé de remettre au pas ceux qui s’égarent. Il doit, aujourd’hui et demain, conserver sa possibilité d’accueillir, d’entendre et de parler de ce qui se joue dans les ratages de la relation du sujet à son objet. Dire l’addiction est une des façons dont il peut poursuivre son patient travail, tissant et nouant de parole ce qui ne peut que se faire, permettant ainsi que ceux qui sont pris dans la répétition aveugle de leur a-diction puissent reprendre à leur compte une parole vraie.

 

L’espoir est permis : il suffit de considérer ce numéro de P&P, le dossier ici présenté peut se lire de diverses façons, selon le fil que l’on choisira : traitement des risques / addictions, analyse universitaire / témoignage clinique, addiction avec produit / sans produit… C’est ce dernier axe autour duquel nous avons finalement choisi de faire tourner les articles de cette revue. Nous vous proposons de parcourir d’abord les anciennes dépendances, alcool et drogue, qui pourtant, on le lit bien dans ce que déroulent les auteurs, ne se consomment peut-être plus de la même façon et les nouvelles addictions, jeux, risque et sexe, dont la théorisation se construit chaque jour.

Pour commencer, les addictions avec produit donc. Pierre Gaudriault ouvre par une réflexion sur la fonction du boire pour les sujets, et la façon dont cet acte vient en lieu et place d’une possible élaboration psychique. Loin de toute moralisation, il nous rappelle que le rapport de chacun à l’alcool est une affaire personnelle, et que les dérapages ne sont ni rares ni nécessairement les premiers pas sur une pente savonneuse.

Pascal Hachet, depuis sa consultation pour jeunes, expose comment la consommation de cannabis, rituelle en temps adolescent, cède le pas à une alcoolisation massive et brutale. Il décrit trois typologies de consommateurs, selon leur âge et la façon dont on peut à la fois les prévenir et tenter de les guérir.

Laurent Valot nous amène à questionner la honte, sentiment ô combien familier des alcooliques, quand elle se noue à la problématique de la migration et à celle de la mise à disposition d’un produit interdit dans la culture ou le pays d’origine ; un patient togolais, rencontré dans une consultation d’addictologie, illustre cette problématique.

Autre pays d’origine, autre logique d’alcoolisation : Claude Pawlik se penche sur la façon dont une blessure subjective, subie dans le pays d’origine et redoublée par la perte de la langue, conduit des sujets originaires de Pologne à s’exclure du système social dans leur pays d’accueil (mais peut-on encore parler d’accueil ?). Là aussi, le parcours d’un homme nous fait ressentir, en l’incarnant, la douleur d’être qui fait passer d’un lieu à un hors lieu.

Pour finir cette première partie, Jacques Borgy nous présente un homme attachant, dont la migration et la perte ont aussi d’une certaine façon causé l’alcoolisme. Thérapeute patient et attentif, l’auteur nous fait lire ce qui lie son patient, et ce qui se dénoue dans le travail et le transfert.

A la limite des deux thématiques, Joanna Matuszczak-Delaroche interroge le vieil usage de la drogue comme une conduite à risques dont il faudrait réduire les dommages collatéraux. Travaillant dans un Centre d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues, elle accueille, inconditionnellement et avec bienveillance, ceux qui voudront peut-être, un jour, arrêter de se mettre en danger de cette façon-là.

Ensuite, les addictions sans produit. Jean-Louis Pedinielli et Agnès Bonnet-Suard démontrent de façon remarquable en quoi les conduites à risque ont à voir avec ce que la société valorise et permettent aux sujets de traiter ou tenter d’annuler jouissance, dépendance, subjectivité et désir.

Armelle Chotard-Fresnais s’y est risquée elle : elle a plongé dans l’univers mmorpg avec wow et en est revenue, parlant les deux langues, celle du jeu et celle de la clinicienne qu’elle est, pour nous initier à l’aspect addictif de ces jeux massivement multijoueur où l’on peut si facilement se perdre.

Adélaïde Coëffec, Nathalie Cheze, Laurence Kern & Lucia Romo présentent une étude, très documentée, sur les ados et les jeux vidéo. Qui sont-ils ? Quelle typologie pour ceux qui sont dans le trop ? Quels rapprochements peut-on faire avec d’autres pratiques du même type ?

Vignette clinique rapide, je me souviens d’un jeune homme, dont les embarras se jouaient sur ordinateur et avec qui j’ai parcouru, pas à pas, le chemin qui mène de l’imaginaire à la mise en pensées et en mots.

Marthylle Lagadec pose la question des addictions sexuelles. Rien de bien excitant finalement dans ces compulsions, déviances, paraphilies et autres perversions. Elle propose des approches thérapeutiques dont l’efficacité lui parait la plus probante et nous montre en quoi les tcc peuvent aider ces sex-addicts.

Pas de rock’n’roll dans tout cela ? Pas si sûr. Jean-Louis Bey, anticonformiste et titilleur de certitudes, nous rappelle que les psychologues sont toujours menacés de devenir des garants de l’ordre et de la morale. Rester vif et alerte, sans préjugé, est la seule façon de demeurer au service de l’humain.

                                                                                                                                Céline Zadigue

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