La revue du SNP

[publié le 24/06/2015]

P&P n°239 : Psychologue du travail à l'épreuve du terrain (suite) (juin 2015)

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Dans ce deuxième dossier qui fait suite à celui paru en avril dernier, nous avons à cœur de présenter l’ensemble des approches et pratiques empruntés au divers courants théoriques, afin de donner au lecteur une vision complète et éclectique de la profession, qui font la richesse des interventions du psychologue intervenant dans le champ du travail.


couv239Depuis l’approche expérimentale jusqu’à la clinique du travail, nos pratiques, nos méthodes, et nos techniques sont multiples. Forts de cette diversité nous sommes également riches d’une constante recherche-action qui nous permet de garder notre distance critique et notre capacité réflexive. Nous pouvons donc offrir, avec une approche prudentielle, nos différents services aux entreprises et aux organisations qui, dans le tumulte de l’actualité socioéconomique, ont aujourd’hui plus que jamais besoin de nos expertises et de nos compétences globales, humaines et scientifiques.

Aucune formation ne contribue en effet à développer une compétence globale aussi complète, tant au niveau bio-psycho-social qu’organisationnel, que celle offerte par la psychologie du travail. Cette compétence nous permet ainsi, avec la connaissance fine de l’entreprise et du travail, du fonctionnement psychologique de l’individu en interaction avec son milieu de travail, des groupes ainsi qu’avec la connaissance des risques psychosociaux et psychopathologiques mais également des ressources psychosociales, d’intervenir avec précision, ajustant notre pratique à chaque situation souvent complexe.

A ce propos, Sophie Berjot partage avec nous son quotidien d’enseignant chercheur – praticienne, avec son Institut IRIST (recherche action par la prévention primaire et secondaire), et sa « transmission » pour former de futurs psychologues. Son objectif, à l’intersection de la recherche et du terrain, est de faire le lien entre la théorie et la pratique, distillant à ses étudiants la rigueur  du savoir, de la méthodologie et des outils, enrichie de la pratique de terrain.

Du Québec, Nicole Chiasson rencontrée lors du congrès de l’AIPTLF et Jeannette Leblanc, Professeures à l’université de Sherbrooke, nous présentent la formation au Doctorat professionnel en PTO (psychologie du travail et des organisations). Les psychologues au Québec ont en effet choisi d’enrichir leur formation avec un doctorat professionnel, assorti d’un internat encadré par des praticiens chercheurs : « Un programme intégré et novateur de développement de compétences en psychologie organisationnelle ». Un exemple à suivre en France? Le SNP, lui, tient, cette idée à cœur.

Du Québec toujours, Marie Malo avec son équipe, partage avec nous l’importance de la formation des psychologues du travail et des organisations, tant en termes de savoir, de savoir faire que de savoir être, afin de favoriser précisément l’appropriation comportementale du feed-back par le client lors de l’évaluation de son potentiel.

Dans « Psychologue du travail et des organisations, cent ans d’histoire », j’évoque les raisons socioéconomiques qui ont favorisé l’émergence de nos pratiques. Mais après l’âge d’or des services psychologiques jusque dans les années 70 et les années fastes des RH (années 80-90), les psychologues ont rencontré ces dernières décennies des difficultés sur le terrain avec le détournement et l’appropriation de leurs pratiques. Cependant et malgré la volonté politique de déprofessionnalisation, je partage avec vous les espoirs d’un nouveau rayonnement pour notre profession, dans le cadre de l’obligation légale de prévention des risques psychosociaux et de la mise en œuvre de la qualité de vie au travail par la prévention primaire.

Comment rester optimiste face à tant de souffrance au travail constatée aujourd’hui ? Marie Pezé, qui a créé la première consultation de souffrance au travail en France ainsi qu’un réseau national de consultation Souffrance et travail (prévention tertiaire), aborde l’explosion des risques psychosociaux ces dernières années.

Restons optimistes, positifs ! Positifs, oui, mais pas ignorants ! Positifs et conscients. Conscients des risques psychosociaux, conscients des conséquences de certaines techniques de management qui produisent de nouvelles servitudes… conscients, en tant que professionnels avertis, de certaines manipulations, techniques d’engagement, de culpabilisation, qui visent à individualiser les problématiques organisationnelles. Nous, psychologues, sommes conscients de cela ; c’est pour cette raison que certaines entreprises ou organisations rechignent à nous faire intervenir, préférant recourir aux services d’un consultant qui se laissera instrumentaliser, ignorant des phénomènes et mécanismes en jeu.

Déni de la souffrance, surcharge de travail, intensification du travail, morcellement des tâches, objectifs inatteignables, convivialité stratégique, conduisent inconsciemment ou sciemment à la perte du sens du travail, à la destruction du collectif et de la solidarité. Autant de phénomènes qui fragilisent et soumettent davantage les personnes, apeurées par le spectre du chômage et de la précarité. Pourtant le travail permet aussi de s’épanouir par la satisfaction des besoins fondamentaux au travail ; allier performance économique et bien être au travail, c’est possible ! Les entreprises qui conjuguent harmonieusement ces deux dimensions permettent à leurs collaborateurs de s’épanouir et d’enrichir le travail par leur motivation, leur efficacité et leur créativité, réalisant par la même l’objectif à atteindre de la QVT (Qualité de vie au travail) !

Dans « Pour une psychologie de l’initiative professionnelle - Une expérience à Renault Flins », Jean-Yves Bonnefond, Yves Clot & Livia Scheller présentent une expérimentation du CNAM. Il s’agit de transformer le travail et son organisation par le développement des ressources personnelles, collectives et organisationnelles dans une perspective du développement conjoint de la santé et de l’efficacité au travail ; cette clinique de l’activité, réside notamment dans la provocation de controverses professionnelles (« disputae » : dispute professionnelle) sur les critères du travail de qualité dans le but de confronter le réel, de trouver ou de former le collectif de travail, afin de retrouver le pouvoir d’agir. Cette discussion, par les opérateurs concernés, sur le travail bien fait, faire parler le métier, vise à développer la fonction psychologique du collectif pour imaginer de nouvelles possibilités de penser et d’agir.

La transformation durable des organisations pour plus de santé et de performance se trouve au cœur des enjeux d’intervention du psychologue du travail. Pierre Goguelin et René Thionville réalisaient déjà des interventions reposant sur les principes d’échanges dans le groupe de travail, en référence aux travaux de Kurt Lewin. Cette forme de brainstorming a pour but de favoriser l’émergence et la mobilisation d’une conscience et d’une action collectives en vue d’une amélioration des conditions de travail, par un accompagnement participatif et co-constructif, et la prise de décision en groupe. Ces pratiques se retrouvent dans nos accompagnements des CHSCT, pour l’élaboration ou la mise à jour du Document unique d’évaluation des risques (DUER) sur le volet des RPS, ou dans nos accompagnements (type coaching) d’équipe ainsi que dans les analyses de pratiques professionnelles.

Marie Pezé encore évoque la violence subie par les femmes au travail ; outre la discrimination salariale, la discrimination dans les affectations et le plafond de verre, les femmes, se résignent souvent au travail invisible, non reconnu et non valorisé à sa juste mesure. Que la route est encore longue pour atteindre l’égalité homme-femme au travail !

Ariane Bilheran décrit les principaux mécanismes de défense à l’œuvre dans un collectif de travail où sévit du harcèlement en s’appuyant sur la psychopathologie ; la complexité des situations vécues et l’intensité de la souffrance engendrée, qu’elle soit individuelle ou collective, démontrent là encore la nécessité de l’intervention de professionnels qualifiés.

Pourtant les entreprises recrutent couramment des professionnels formés en quelques heures en coaching ou sur d’autres compétences parcellaires empruntées à la psychologie. Cependant, seule notre profession2, qui garantit une formation complète de haut niveau bio-psycho-social, et organisationnel, ainsi que la référence à un code de déontologie, permet une analyse globale et systémique du travail et des interventions précises et éthiques, en matière de prévention primaire des risques psychosociaux et de QVT. Dans la mise en œuvre de la qualité de vie au travail, telle que voulue par l’accord interprofessionnel du 19 juin 2013, tout comme dans l’obligation légale de prévention de la santé physique et psychique, notre rôle est d’y contribuer dans l’interdisciplinarité et dans le respect du domaine de spécialité de chacun.
 

 

À l’image de solar impulse, dont le tour du monde à la seule énergie solaire signe l’aurore d’une industrie verte, responsable et humaine, souhaitons que les dirigeants, acteurs et responsables politiques prennent leurs responsabilités et choisissent d’utiliser les ressources de notre profession. Celle-ci pourra alors véritablement les aider à faire le choix de développer durablement les ressources, tant humaines qu’environnementales et organisationnelles, pour l’épanouissement de tous !

Bonne lecture !  

 

Isabelle Wijers

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