La revue du SNP

[publié le 04/12/2013]

P&P 230 : Doctorat professionnel, une nouveauté d'avenir (déc 2013)

Psychologues et Psychologies n°230

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Le doctorat professionnel,qu’es aquò ? L’idée d’allonger la formation des psychologues jusqu’au D du cursus européen LMD est dans l’air de la discipline et de la profession depuis quelque temps et le débat semble lancé[1], mais que sait-on vraiment, en France, sur ce que recouvre cette dénomination anglo-saxonne ? C’est le premier objectif de ce dossier : fournir au lectorat français une présentation la plus précise possible de ce qu’est un doctorat professionnel dans les pays où ceux-ci existent.

 

Notre article qui ouvre le dossier détaille ainsi la formation doctorale des psychologues cliniciens aux États-Unis et en Grande-Bretagne à travers les exemples de deux programmes universitaires. On verra qu’il y a ici de vrais projets de formation construits en réponse aux complexités nouvelles des demandes adressées aux psychologues dans un monde qui évolue. Et que ces réponses viennent de la profession elle-même à travers les instances représentatives qu’elle s’est données : l’APA ou la BPS. C’est une première leçon que nous tirons de ces exemples : il n’y aura pas de niveau doctoral pour les psychologues, en France, sans une volonté venant d’une instance nationale représentative dont la prérogative principale serait la délivrance du droit d’exercice. Tout semble en effet devoir se construire à partir de ce point. Or, pour G. Fourcher, la réglementation de l’exercice engagerait une action législative (cf. note 1, Atelier « Fondements et intérêts… ») et une reconnaissance légale du Code de déontologie.

L’exemple d’une telle volonté nous est donné par nos collègues de l’Ordre des psychologues québécois. Je remercie encore Stéphane Beaulieu et les responsables de l’Ordre d’avoir rendu possible cet échange fructueux à propos de la démarche qui les a conduits à imposer la nécessité du passage au doctorat. Il apparaît que c’est d’abord par la prise de conscience d’une contrainte à continuer à se former chez les psychologues débutants que ce projet a trouvé une légitimité. Ce problème n’est évidemment pas inconnu chez nous. Comme le rappelle A. Ciccone à propos des psychologue cliniciens (cf. note 1, Le doctorat professionnel…), leur formation demande plus que le seul master car il s’agit foncièrement d’une formation continue et continuée. Seulement - pouvons-nous ajouter - cette formation post-universitaire est laissée à l’initiative et aux moyens de chacun, même si elle est contrainte par la déontologie. La perspective d’un doctorat professionnel permettrait alors de prendre en charge partiellement cette formation prolongée, mais en lui donnant ce double aspect fondamental et appliqué qui en ferait une base pour l’obtention du titre, base qui redeviendrait d’ailleurs celle impliquée par la loi de 1985, c’est-à-dire d’un niveau de 3e cycle. De sorte qu’amener l’exigence de formation jusqu’au niveau doctoral ne serait pas seulement sortir d’une rétrogradation en termes de diplômes mais surtout rehausser une qualification et un niveau de pré-requis et d’initiation notoirement insuffisants, tout en réduisant la part d’aléatoire dans les compléments aux formations de base.

Doux rêve ? Revendication irresponsable et utopique ? Idée séduisante ? Les critiques ne manquent pas, mais tout autant les appuis et les projets. L’équipe pédagogique du département de psychologie de l’université catholique d’Angers (IPSA/UCO) nous donne ainsi, avec l’article proposé, un exemple de mise à l’épreuve de l’idée de doctorat professionnalisant. Ce n’est pas tellement une surprise s’agissant d’une équipe qui a le souci depuis fort longtemps d’intégrer la dimension de la pratique à celle de l’enseignement théorique, à travers notamment une consultation universitaire et de formation à la clinique[2]. Mais il s’agit tout de même d’une pure innovation dans notre paysage universitaire, sorte de création qui construit un praticable à venir. Pour l’heure, ce n’est qu’un projet qui est à l'étude au sein du département de psychologie, en lien avec les instances rectorales de l'UCO. Nous suivrons avec attention la réception qui en sera faite et, éventuellement, son application. Nous pourrions avoir là un laboratoire d’expérience pour une idée qui prend peu à peu consistance.

Le texte des collègues de l’IPSA fait référence à Dominique Desjeux, et c’est avec satisfaction que nous publions son article rédigé à notre demande pour ce dossier. Professeur d’anthropologie, il a depuis longtemps instauré un « doctorat professionnel » à Paris 5 en jonglant avec les frontières qui séparent formation de base (Master) et formation continue (D.U.). Son témoignage nous est précieux pour montrer la nécessité et la possibilité de trouver de nouvelles dimensions professionnalisantes de haut niveau, capables de faire intégrer des docteurs dans le monde de l’entreprise en répondant à des demandes précises et en suscitant des recherches. Ne trouve-t-on pas un écho de cela dans la loi Fioraso qui favorise l’intégration des docteurs dans la Fonction publique et préconise une meilleure insertion professionnelle des doctorants ? Mais encore dans l’apparition de nouvelles appellations dans certaines disciplines, comme celle de « doctorat exécutif ». Là encore, contrairement à une idée reçue, c’est à la Sorbonne qu’on innove ![3] Le but paraît toujours le même : articuler champ professionnel et hautes compétences appliquées et en recherche.

Nous tenons également à remercier le professeur Cristina Di Domenico d’avoir accepté de nous décrire le cursus des psychologues cliniciens argentins, au demeurant peu connu pour un lecteur français. Nous l’avions contactée car nous avions l’information qu’en Argentine le niveau de formation était celui d’un doctorat. Comme on le lira, il n’en est rien, mais il apparaît néanmoins qu’une exigence d’un stage long d’une année est imposée et que la formation est orientée vers la professionnalisation.

 

Nul ne peut dire aujourd’hui ce que deviendra la formation future des psychologues en France[4]. On pourra facilement faire remarquer que la quasi totalité des formations en Europe sont à Bac + 5, avec tout de même des exceptions intéressantes, mais pas toutes de même nature en fonction du contexte légal de la profession : l’Allemagne, le Danemark, la Suède, l’Italie et bien-sûr la Grande-Bretagne. On pourra tout aussi facilement proclamer que la certification Europsy répond avantageusement à la nécessité d’allongement de la formation. Mais, de l’aveu même de ses promoteurs français, Europsy n’a pas vocation à devenir un dispositif de contrainte ou un passage obligé : il s’agit d’une libre adhésion. C’est bien, semble-t-il, la place à laquelle la BPS met Europsy : une fois le psychologue agréé, et donc ayant reçu une autorisation à exercer, il est libre de demander sa certification comme psychologue Europsy, et, semble-t-il encore, dans le but principal de pouvoir exercer plus facilement dans un autre pays européen. Avec cet exemple anglais, on voit ainsi deux choses : 1) qu’il n’y a pas d’incompatibilité entre le doctorat professionnel et Europsy, et que c’est donc un faux débat de les opposer comme des alternatives mutuellement exclusives ; 2) qu’Europsy vise une amélioration des pratiques par la prise en compte de standards, certes, mais n’a pas comme but avoué de transformer l’assise légale touchant au niveau de diplôme donnant le titre, ni à la délivrance du droit d’exercer. Or nous avons posé plus haut, et nous le reformulons dans notre article, qu’il ne peut y avoir d’évolution du niveau de formation sans fonder les conditions pour la délivrance du droit d’exercer. La valorisation de la profession se fera au prix de ce déplacement, et c’est d’abord de nous-mêmes que nous devons attendre des changements.

 

Pascal Le Maléfan


[1]             J.P. Bouchard, Un doctorat de psychologie ? Psychologues et Psychologies, n°201/202, p. 78-80 ; Atelier « Fondements et intérêts d’un doctorat professionnel », Assises nationales pour l’évolution de la formation des psychologues,Boulogne-Billancourt, Paris5-Descartes, 4 décembre 2010 ; P. Le Maléfan, Un doctorat professionnel de psychopathologie clinique ? Le Journal des psychologues,2012, n°295, p. 10-11 ; A. Ciccone et B. Schneider, Le doctorat professionnel en débat, Le Journal des psychologues, 2012,n° 303, p. 6-11 ; P.-A. Raoult, G. Fourcher, P. Le Maléfan, F. Caron, J.-M. Lecointre, J. Borgy, Formation doctorale des psychologues ? Un avenir ambitieux pour la profession, Le Journal des Psychologues,2013, n° 305, p. 8-11.

[2]             Cf. C. Savinaud et P. Grosbois (sous la dir. de), La transmission de la clinique à l’université, Cahiers de l’IPSA, Paris, L’Harmattan, 2008.

[3]             Voir :http://www.ifd.upmc.fr/fr/publications/ifdmag_n_21/entretien.html

[4]             Et aussi dans le monde. Le 5ème Congrès International « License, Certification et accréditation des psychologues » s'est tenu en juillet 2013 à Stockholm. Il s’agissait d’une rencontre sans précédent ayant pour objectif de commencer à travailler sur l'élaboration d'un accord global sur l'identification des compétences qui définissent la pratique de la psychologie professionnelle, au-delà des variations nationales dans les programmes de formation. Á noter que l’APA y était représentée, et la EFPA, ainsi que la présidente d’Europsy. Un autre colloque est annoncé pour l’an prochain.

 

Sommaire

Le doctorat professionnel, entre réalités et perspectives - P. Le Maléfan

Un doctorat de psychologie au Québec - S. Beaulieu, P. Le Maléfan

Pour un "Doctorat d'Exercice en Psychologie". Perspectives en cours à l'IPSA/UCO Angers - L. Bernard-Tanguy, L. Cocandeau-Bellanger, C. Heslon, P. Martin-Mattera

Former des docteurs : le modèle de l'anthropologie professionnelle. Métissage des méthodes et alternance entre l'entreprise et la recherche académique - D. Desjeux

La Psychologie clinique en Argentine - C. Di Doménico

 

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