La revue du SNP
P&P 221 : Les psychologues au chevet des soignants (avril 2012)
Psychologues et Psychologies n°221
Numéro épuisé
Le paradoxe comme moteur de la compléxité
Depuis le début des années 2000 les directions hospitalières recrutent des psychologues pour s'occuper, non plus des patients, mais du personnel. Ce phénomène coïncide avec l'émergence de la problématique des risques psychosociaux, le secteur de la santé étant parmi les plus touchés par les effets de la souffrance au travail. La nature de l'activité et l'impact de la réforme du service public sont principalement avancés comme facteurs du mal être croissant des personnels de santé.
Le psychologue découvre ce secteur professionnel par ses paradoxes. D'abord celui de ses propres conditions de travail : le plus souvent en situation précaire (CDD à temps partiel), il doit contribuer à lutter contre l'insécurité de l'emploi de certains agents hospitaliers.
Sur le fond, le choc imposé des cultures du soin et de la gestion crée un point de friction dans l'évolution programmée: la réforme hospitalière, avec son cortège de changements successifs, bouscule les repères; visant la performance des soins pour le politique, elle est récusée comme performance du profit par les salariés. Cette rencontre sur le fond transforme l'activité en paradoxe : la violence à l'hôpital fait irruption dans un lieu consacré à l'accueil et au soin, dont la culture banalise les risques du métier.
En écho toujours, la fonction du cadre de santé : intenable entre compassion et performance, elle fait du cadre un inéluctable perdant à l'issue d'un choix obligé, dans un jeu où il faut perdre son identité pour gagner en compétence. A l'origine il y a un paradoxe du politique qui déclare par la loi le risque pour la santé du professionnel comme étant inacceptable, mais dont il relègue l'obligation aux vertus de la négociation paritaire comme objet de transaction.
Confiée à la science, la définition du risque a évolué dans son sens médical et psychologique de la souffrance au bien-être au travail, le présupposé psychosocial étant traité par la mécanique épidémiologique.
Le médiatique se fait l'écho d'un corps social paradoxal qui régler ses comptes avec son conflit d'intérêt comme producteur voulant se payer des certitudes (sécurité de l'emploi et pouvoir d'achat) et comme consommateur exigeant l'aléatoire (vertus du marché et concurrence). Derrière la dénonciation de l'agression du statut du sujet et de la valeur travail, il faut sans doute lire la revendication positive d'un capitalisme rénové, assurant une cohérence entre le modèle de croissance et le bien-être qui va avec. Le paradoxe sociétal est celui du changement dans la continuité. Le psychologue est appelé au chevet d'un malade de lui-même.
Coexistence des contraires, le paradoxe opère de façon dynamique comme modalité d'évolution du complexe. Moment de confusion propice au changement, son issue dépasse théoriquement le clivage des intentions vers une inconnue. Au plan sociétal cette progression saltatoire, par ses contenus, fabrique l'histoire. Comment alors résoudre le paradoxe du positionnement du psychologue appelé à la rescousse des intentions contradictoires?
Face à l'expression de la souffrance la réponse du psychologue n'est pas antalgique mais ontologique : éviter l'instrumentalisation, rester dans une attitude relationnelle de soutien, inviter la capacité à penser le vécu, sont des pistes que proposent les auteurs aux prises avec les demandes des soignants et de leur institution.
Philippe Chimy
Sommaire du dossier
Présentation : Le paradoxe comme moteur de la compléxité - P. Chimy
Violence à l'hôpital, symptôme à éradiquer ou richesse clinique ? - L. Frézil
Absentéisme, les enjeux d'une bataille - P. Chimy
Vers un monde d'injonctions paradoxales... ou l'étau de l'encadrement - N. Robinet
Repères sur l'évaluation des risques psychosociaux - P. Chimy
Réorganisation de la médecine du travail, la pluridisciplinarité sous la houlette des médecins - P. Chimy
> Tous les articles